vendredi 14 octobre 2011

Cyprien Gaillard au Centre Pompidou : un travail en surface (ou un chantier de fouilles paradoxal...)


L’exposition à Beaubourg du lauréat du Prix Marcel Duchamp 2010 a de quoi surprendre : là où le visiteur s’engouffre, aucun éclair, aucune découverte : il a seulement sous les yeux un travail préparatoire, et des éléments de repérages. Des tâtonnements…


UR, Underground Resistance and Urban Renewal, 2011
sérigraphies sur verre et marbre fossile noir
241 x 246,5 cm chaque
© Cyprien Gaillard
Courtesy Galerie Bugada & Cargnel, Paris
Un jeu de références archéologiques et historiques inexploitées
Commençons par des faits : l’exposition est divisée en deux parties, la première constituant une sorte de vestibule, au centre duquel sont adossées deux énormes « stèles » de près de trois mètres de haut. L’œuvre est intitulée UR, Underground Resistance and Urban Renewal, et composée d’une plaque de verre (récupérée sur le site des Halles en démolition), et une seconde de marbre, toutes deux sérigraphiées. On ne s’attardera pas sur le titre de l’œuvre, cumulant de multiples références (« Underground Resistance » nom d’un label de musique techno de Detroit fondé par Jeff Mills et Mad Mike au début des années 1990 et dont l’œuvre emprunte le logo ; « UR » initiales du renouveau urbain ; mais également nom d’une ville mésopotamienne célèbre pour ses découvertes archéologiques et sa fameuse ziggourat…) sans vraiment développer plus profondément la problématique de l’exposition : en quoi les ruines matérielles peuvent-elles être le reflet de nos propres décombres intérieurs ? Ceci dit, on restera indulgent, il s’agit au moins d’une bonne œuvre introduisant la notion de ruine : antique ou contemporaine ?

Geographical Analogies, 2006-2011
mixed media
65 x 48 x 10 cm (avec cadre)
25 5/8 x 19 x 4 inches (sans cadre)
© Cyprien Gaillard
Courtesy Galerie Bugada & Cargnel, Paris
On attendait donc au sein de la seconde salle une mise en abîme des vestiges, qu’ils soient finalement physiques, mentales, architecturaux ou humains (le dépliant insiste d’ailleurs sur la volonté de l’artiste de « nous [entraîner] à voir autre chose, à regarder par-delà les visions convenues »). Dommage, le travail de Cyprien Gaillard exposé à l’espace 315 est constitué uniquement de ces « visions convenues ». Notamment, disposées de chaque côté de la pièce, une centaine de vitrines abritent chacune 9 polaroïds disposés en losange et réunissant des éléments architecturaux ou végétaux de façon formelle, comme par exemple ces colosses olmèques mis en parallèles avec nos grattes-ciels contemporains, ou quelques grottes calcaires associés à des charniers gonflés d’ossements… Quoi d’autre ? Trop de séries, trop de répétition, trop de raccourcis visuels… Au centre de la pièce trône les Structures Péruviennes, sculptures « modernes », censées « [réactiver] cependant des formes incas ». Merci cher dépliant, qui dissémine les références sans plus les expliciter… On aurait préféré quelque chose d’un peu plus pointu et non quelques citations ici et là de civilisations qui peuvent paraître floues pour la majorité du visiteur novice en archéologie.
On n’ajoutera pas non plus la présence incongrue d’un réel vestige antique (tout droit sorti des collections du Louvre), en l’occurrence un fragment de bas-relief assyrien, censé se fondre parmi les faux-vestiges de l’entrée et les ruines recomposées du centre de la pièce, mais qui ne constitue finalement que le point d’orgue d’une déception triste, liée à une curiosité enragée et malheureusement victime de famine...

Anne et Patrick Poirier, Le Jardin Noir, détail, 1975
Photographies de végétaux sur fond de cendres
Vue de l’exposition à la galerie Valsecchi, Milan, 1975
© Anne et Patrick Poirier
Failles et emprunts : comparaison avec le travail d’Anne et Patrick Poirier
Ne pas avoir pris le risque de jouer avec la poésie des ruines est peut-être la cause de la superficialité des œuvres et du propos général.  Le travail d’Anne et Patrick Poirier à la fin des années 1970, centré également autour des vestiges archéologiques et de son lien à l’humain, avait su mêler le propos architectural au propos mental. Pour leur Domus Aurea, exposition organisée au Centre Pompidou en janvier-février 1978, empruntant son nom à l’antique palais de Néron à Rome, les artistes avaient créés toute une mythologie urbaine entre utopie et contre-utopie, mêlant incendie antique et squatteurs contemporains. Les différentes sections composant l’ensemble (Le Jardin Noir, La Bibliothèque Noire, et Les Architectures Noires rassemblant plusieurs œuvres majeures dont Ausée et La Voie des Ruines)  étaient également des métaphores de l’inconscient et de la perte de la mémoire, qu’elle soit collective ou individuel. Les zones du palais calciné et les grandes salles d’apparat effondrées devenaient alors des zones balisées d’un cerveau absent et disloqué.
Cyprien Gaillard s’est d’ailleurs probablement inspiré du Jardin Noir pour ses Geographical Analogies, même si l’œuvre des Poirier jouait plutôt sur des formes végétales enfermés parmi des cendres noires parfois réelles, parfois photographiées, tels les vestiges des jardin fragiles d’un palais calciné.

Anne et Patrick Poirier, Les Constructions Noires, Ausée, détail, 1976
10 x 5 mètres
Charbon de bois, fusain, bois, eau
Courtesy collection Ludwig, Cologne
© Anne et Patrick Poirier
Bien évidemment, il ne s’agit pas de dire que Cyprien Gaillard aurait dû suivre la route tracé par ses prédécesseurs. Mais montrer d’autres démarches autours des mêmes obsessions archéologiques et urbaines permet de mesurer la facilité dans laquelle s’est engouffré le lauréat du prix Marcel Duchamp, qui ne joue même pas sur les matières. Les polaroïds des Geographical Analogies, si on en croit l’artiste, sont « fragiles, vite fânés, […] fragments archéologiques en devenir ». Or le visiteur n’entrevoit pas une seule seconde ce devenir dans les petits clichés neufs et impeccablement disposés. Les Structures péruviennes n’ont rien d’original non plus, et les enjoliveurs qui trouvent place entre les barreaux de métal, « ultimes avatars de l’histoire de l’ornement », ne font qu’habiller d’anciens présentoirs à pneu platement réagencés.

Mesquinerie de l’auteur
Finalement, on aurait dû se douter dès réception du carton de l’exposition que quelque chose était absent au sein de ce travail : lorsqu’un artiste contemporain censé présenter une démarche aboutie à Beaubourg laisse imprimer comme visuel de son exposition la seule pièce qui n’est pas de lui (le bas-relief assyrien, que nous n'avons pas eu la place de faire figurer parmi nos illustrations, mais qui peut aisément se trouver sur la toile), choix qui de surcroît n’illustre absolument pas de façon claire sa démarche, c’est soit qu’il n’y avait rien d’autre à se mettre sous la dent, soit… qu’il n’y avait rien d’autre à se mettre sous la dent…



Cyprien Gaillard au Centre Georges Pompidou, espace 315 (métro Rambuteau)
Du 21 septembre 2011 au 9 janvier 2012
Ouvert tous les jours de 11h à 21h, sauf le mardi

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