mercredi 28 septembre 2011

Dernier jour de l'exposition 'Underwater' de Bastien Lattanzio à la galerie 0fr !


Si l’on connaissait Bastien Lattanzio pour ses séries de mode pour GQ, Muteen ou Grazia (entre autres), voici enfin l’occasion de découvrir l’un de ses projets personnels, intitulé « Underwater », et exposé à l’0fr jusqu’à ce soir. Une série préparée à l’avance, mais réalisée avec les moyens du bord lorsque l’occasion se présenta de la mettre finalement en œuvre, lors d'un séjour en Corse.

Si l’exposition est malheureusement trop courte dans le temps, elle ne déçoit pas au niveau des images : les tirages grand format (70 x 100 cm) produisent un effet grandeur nature, et le modèle se retrouve quasiment reproduit à taille réelle. Les photographies, de prime abord naïves, deviennent de fait beaucoup plus troublantes. On croirait presque se trouver au milieu d’un océarium dont les parois seraient percées de 12 ouvertures, à travers lesquelles divers spécimens d’une même espèce de sirène à branchies nageraient, murées dans un bassin aux limites incertaines. Les photographies, toutes tirées sur papier brillant et encadrées sous verre, accentuent cette effet de vitrine scientifique.

Le photographe use de cadrages serrés et reste toujours proche de son modèle. En résulte alors pour le spectateur une sensation à la fois plaisante et malsaine de se trouver en position de voyeur. Le corps est dévoilé, les formes aussi, seule le visage de cette femme demeure inconnu, la tête parfois coupée, hors du cadre, la chevelure seule signe d’un crâne aux yeux bleus.


Exposition "Underwater" de Bastien Lattanzio
Du 26 au 28 septembre 2011 
Librairie et galerie l'0fr
20 rue Dupetit Thouars (Métro République)
75003 Paris
Ouvert de 10h à 19h

mardi 27 septembre 2011

Première exposition personnelle de Richard Wentworth à la galerie Nelson-Freeman


Rien de mieux pour inaugurer l’automne que de visiter les galeries du Marais, et flâner entre les hôtels particuliers flanqués d’immeubles haussmaniens : il y a bien longtemps que le baron a cru légitimer son emprise sur la ville de Paris ! Commencer sa promenade par la galerie Nelson-Freeman avec l’exposition Richard Wentworth est une manière amusante de faire un pied-de-nez à l’environnement dix-neuviémiste qui l’entoure. 

Dès l’entrée, l’artiste nous signale son goût pour l’accident dans le ville. La cité et ses matériaux sont son œuvre. Des petits miroirs de poche, soulignés d’un mince cadre de plastique coloré reflètent les travaux en cours dans la rue Quincampoix. Les barrières vertes et grises protégeant les passants des crevasses isolent également un long tuyau de plastique jaune faisant écho à Need Must et son sceau rouge, que l’on devine derrière la vitrine de la galerie. Au moment même où le visiteur s’apprête à en franchir le seuil, le ton est donné : tout est sculpture, et travail inattendu de la matière. 

La première salle présente quelques photographies autour de l’abandon. Ici une grille en fer forgé aux motifs floraux stylisés est écrasée par un mur de tags, là-bas un tapis persan gît à-même le gravier au pied d’un bâtiment austère dont les tôles rouillées sont tout aussi abandonnées que lui. Homing, sorte de coffre à bagage entre habitat de fortune pour S.D.F. et sarcophage de plâtre, fait pendant aux objets de récupération et d’autres encore sous scellés (couteaux de cuisine, lampe de poche…) attachés à la colonne au centre de la pièce (le fameux Needs Must).

L’espace de transition avec la seconde salle du rez-de-chaussée est curieux : les C-prints ne sont plus à hauteur d’homme (disons à hauteur normée), mais presque à même le sol, il faut se pencher pour les apercevoir puis s’accroupir pour les regarder. Il en est de même avec l’escalier qui mène à l’étage supérieur de la galerie, décoré sur les côtés de petits morceaux carrés de toiles cirés aux motifs kitschissimes. L’artiste joue avec l’inattendu, et oblige le visiteur à rester à l’affût, car tout peut lui échapper s’il n’est pas assez attentif : afin de surprendre Love, deux barres métalliques reliées à une chaîne, suspendues tout en haut dans l’angle de la pièce suivante, celui-ci doit lever les yeux.
Les petits tirages sous diasec nous offrent des visions poétiques de la ville : panneau indicateur devient fleur, marquage au sol nuage, et bâtonnet de glace décapité posé dans la jointure d’un mur, ruisseau. La beauté de l’inattendu se substitue à la niaiserie, car tous ces éléments formels et objets privés de leur fonction d’origine sont comme nous, citadins, accrochés à une géographie dont nous sommes prisonniers. Nos geste pour nous en échapper deviennent créations involontaires. 




L’étage est une surprise : une salle de jeu pour enfants, incontestablement. Réinventée, et impossible à la fois. Des bassines colorées sont rassemblées sur la gauche (Childhood), des petites chaises sont reliées par une chaîne, alors qu’une troisième est recouverte d’une énorme corde enroulée et posée sur l’assise.
On retrouve le Needs Must d’en bas et ses objets accrochés à leur pilier, mais cette fois dans l’ordre inverse, de façon quasi-symétrique à leurs compagnons de l’étage inférieur. D’autres photographies accompagnent cette mise en scène, sur le même thème de l’abandon urbain. Quelqu’un a tenté de protéger une des vitres brisées de sa porte d’entrée par un carton afin d’éviter tout vandalisme inopportun en attendant une éventuelle réparation. Mais même une porte ne peut échapper à son destin : le carré de carton a été à son tour éventré. Richard Wentworth ne cache pas son ironie, les objets ont leur humour, et il s’agit de traquer celui-ci parmi les chantiers de construction et les quartiers abandonnés, là où l’humain est en transit (du moins le croit-il !).

Richard Wentworth joue avec brio de toutes ces ambiguïtés, à tel point que l’on sort de chez Nelson-Freeman en se demandant si, finalement, les travaux de la rue ne sont pas l’œuvre de l’artiste : paranoïa urbaine !

 Photos : © Galerie Nelson-Freeman


Exposition Richard Wentworth
Du 17 septembre au 10 novembre 2011
Galerie Nelson-Freeman
59 rue Quincampoix (Métro Rambuteau)
75004 Paris
Du mardi au samedi :
11h00 - 13h00 / 14h00 - 19h00

samedi 24 septembre 2011

João Maria Gusmão et Pedro Paiva au F.R.A.C. Ile-de-France (Le Plateau)



Hand, smaller than hand, 2009. Film 35 mm, 1'48''

Ce qui m’a particulièrement fasciné dans cette exposition, intitulée Alien Theory, n’est pas la portée philosophique de ses œuvres, ce n’est pas leur humour anthropologique, ce n’est pas les références littéraires et cette main qui marche entre des fragments de statues antiques, avant de tomber dans le vide (référence à Thalès qui serait mort selon Diogène en tombant dans une crevasse, car il gardait les yeux tournés vers les étoiles)…

C’est sa poésie.
Pour toute les interprétations littéraires, métaphysiques et scientifiques de l’œuvre de João Maria Gusmão et Pedro Paiva, le lecteur-visiteur pourra se rendre sur la toile ou se plonger dans les dépliants.

Une exposition d’œuvres filmées donc, essentiellement au format 35 mm et 16 mm, deux camera obscura pour le reste. La scénographie, déjà, est poésie : une déambulation dans des corridors sombres, les oreilles troublées par le crépitement des bobines, quelques lumières blanches au détour d’un couloir, les autres visiteurs deviennent des ombres qu’on finit par ne plus apercevoir. La malédiction du cinéma muet. Les projections s’entrecroisent, sur un plan savamment élaboré pour permettre une circulation aisée des spectateurs et une occupation optimale de l’espace afin de présenter  la nombreuse sélection de films de manière adaptée, avec suffisamment de recul aussi. La difficulté de l’opération a été ingénieusement relevée !

Mais poésie des œuvres évidemment. Les stars de l’exposition, ou présentées comme telles, The Soup (qui a fait l’affiche, avec ce satané singe !), Hand, smaller than hand, ou encore Wheel, certes riches de multiples interprétations en diverses disciplines comme dit plus haut, philosophie, anthropologie, et heureusement mêlées d’ironie et d’absurde, n’ont malgré tout pas la même portée esthétique et contemplative que leurs compagnes.

Ventriloquism, 2009. Film 16 mm, 2'45''

Poésie du temps. Ventriloquism, tout d’abord, film réalisé en 2009 pour la 53e Biennale de Venise, se penche sur le temps. Une clepsydre laisse s’écouler les secondes, puis les minutes, au pied d’une statue de saint céphalophore (est céphalophore celui qui – en général un saint, vous comprendrez pourquoi ! – une fois la tête tranchée, marche vers le lieu de sa sépulture en portant sa dite tête) . L’écoulement est continu, la statue inévitablement immobile, protégée par un clair-obscur de catacombe romaine ou de crypte médiévale. Le projecteur accompagne la scène, muette, de son vrombissement et produit finalement un saisissant effet de mise en abîme : la machine devient elle-même clepsydre, finalement la bobine est la preuve matérielle de l’écoulement du temps, sans elle le filet d’eau s’assèche. Getting into bed exalte quant à lui un mouvement quotidien : celui de se coucher. Le film, par son rythme, souligne le moindre petit mouvement, et le corps, ralenti, devient alors une statue déréglée mais précise lorsqu’il soulève le drap blanc dans lequel il se glisse, le mince tissu flottant et se gonflant sous l’air qu’il retient en-dessous.

Fruit polyhedron, 2009. Film 35 mm, 2'42''

Poésie mystique. The Horse of the prophet utilise le même procédé : un ralenti qui permet au spectateur de mesurer le moindre sursaut de matière, la moindre vibration. Le bateau glisse mais l’eau est absente de l’image, un marin assis regarde le motif immense peint sur sa voile : Al-Buraq, le cheval du prophète Mahomet, celui qu’il aurait chevauché lorsqu’il est monté vers Allah. Al-Buraq est le lien entre le monde de l’homme et le monde invisible, divin et mythique. Bread fruit on oven relie cette thématique et montre un fruit à pain (originaire d’Océanie, il est beaucoup consommé en Polysésie, en Martinique et en Guadeloupe), posé telle une offrande sur un four traditionnel. Le fruit finit par prendre feu, mais ne faiblit pas, n’éclate pas, ne fond pas, ne se déforme pas : un buisson ardent a fait irruption dans le foyer. Un esprit ?
Et l’on reste encore – mais sans aucune lassitude – dans les végétaux habités de forces occultes avec Fruit polyhedron, banquet immobile dont les convives sont absents. Une nature morte sous la forme d’une fresque silencieuse, débordante d’agrumes et de palmes. Au bout de quelques secondes, un premier fruit, puis un deuxième, pelés et sculptés en polyèdres, commencent à léviter, puis à tourner sur eux même de façon dérisoire, de façon rapide, puis presque interminable. Ils se détachent de l’attraction terrestre, mais l’attraction céleste n’est pas assez forte pour les emporter. Ils restent en suspension, et pirouettent : à quoi cela mène-t-il ? Où cela pourrait-il les mener ? Eux aussi, des esprits ? L’homme est-il maître de ce qu’il transforme ? Ne se nourrit-il pas finalement de l’âme des objets alentours, afin de constituer la sienne, dont les strates ne sont qu’une compilation de signes digérés et récupérés ?

Ah, non ! Ca ne va pas ! Me voilà finalement égaré moi aussi dans la métaphysique, je voulais parler de poésie ! Voilà donc l’œuvre des deux artistes portugais : quoique l’on fasse, on s’y laisse prendre, au-delà des dimension esthétiques et formelles. Chaque bobine est constitué de plusieurs films dont la durée de chacun oscille entre deux et trois minutes en moyenne, assez pour faire surgir des questions après une courte mais intense contemplation. Une fois le propos soulevé dans l’esprit du spectateur, noir ! Au suivant !

« Il faut enseigner par la frustration ! » disait un de mes professeurs d’Histoire de l’Art… Raison de plus pour retourner au F.R.A.C. une nouvelle fois, avant que ces films ne disparaissent de ses salles blanches.




Exposition Alien Theory, de João Maria Gusmão et Pedro Paiva
Du 22 septembre au 20 novembre 2011
F.R.A.C. Ile-de-France / Le Plateau 
Place Hannah Arendt, 75019 Paris (Métro Botzaris) 
Ouvert du mercredi au vendredi de 14h à 19h, les samedis et les dimanches de 12h à 20h