samedi 24 septembre 2011

João Maria Gusmão et Pedro Paiva au F.R.A.C. Ile-de-France (Le Plateau)



Hand, smaller than hand, 2009. Film 35 mm, 1'48''

Ce qui m’a particulièrement fasciné dans cette exposition, intitulée Alien Theory, n’est pas la portée philosophique de ses œuvres, ce n’est pas leur humour anthropologique, ce n’est pas les références littéraires et cette main qui marche entre des fragments de statues antiques, avant de tomber dans le vide (référence à Thalès qui serait mort selon Diogène en tombant dans une crevasse, car il gardait les yeux tournés vers les étoiles)…

C’est sa poésie.
Pour toute les interprétations littéraires, métaphysiques et scientifiques de l’œuvre de João Maria Gusmão et Pedro Paiva, le lecteur-visiteur pourra se rendre sur la toile ou se plonger dans les dépliants.

Une exposition d’œuvres filmées donc, essentiellement au format 35 mm et 16 mm, deux camera obscura pour le reste. La scénographie, déjà, est poésie : une déambulation dans des corridors sombres, les oreilles troublées par le crépitement des bobines, quelques lumières blanches au détour d’un couloir, les autres visiteurs deviennent des ombres qu’on finit par ne plus apercevoir. La malédiction du cinéma muet. Les projections s’entrecroisent, sur un plan savamment élaboré pour permettre une circulation aisée des spectateurs et une occupation optimale de l’espace afin de présenter  la nombreuse sélection de films de manière adaptée, avec suffisamment de recul aussi. La difficulté de l’opération a été ingénieusement relevée !

Mais poésie des œuvres évidemment. Les stars de l’exposition, ou présentées comme telles, The Soup (qui a fait l’affiche, avec ce satané singe !), Hand, smaller than hand, ou encore Wheel, certes riches de multiples interprétations en diverses disciplines comme dit plus haut, philosophie, anthropologie, et heureusement mêlées d’ironie et d’absurde, n’ont malgré tout pas la même portée esthétique et contemplative que leurs compagnes.

Ventriloquism, 2009. Film 16 mm, 2'45''

Poésie du temps. Ventriloquism, tout d’abord, film réalisé en 2009 pour la 53e Biennale de Venise, se penche sur le temps. Une clepsydre laisse s’écouler les secondes, puis les minutes, au pied d’une statue de saint céphalophore (est céphalophore celui qui – en général un saint, vous comprendrez pourquoi ! – une fois la tête tranchée, marche vers le lieu de sa sépulture en portant sa dite tête) . L’écoulement est continu, la statue inévitablement immobile, protégée par un clair-obscur de catacombe romaine ou de crypte médiévale. Le projecteur accompagne la scène, muette, de son vrombissement et produit finalement un saisissant effet de mise en abîme : la machine devient elle-même clepsydre, finalement la bobine est la preuve matérielle de l’écoulement du temps, sans elle le filet d’eau s’assèche. Getting into bed exalte quant à lui un mouvement quotidien : celui de se coucher. Le film, par son rythme, souligne le moindre petit mouvement, et le corps, ralenti, devient alors une statue déréglée mais précise lorsqu’il soulève le drap blanc dans lequel il se glisse, le mince tissu flottant et se gonflant sous l’air qu’il retient en-dessous.

Fruit polyhedron, 2009. Film 35 mm, 2'42''

Poésie mystique. The Horse of the prophet utilise le même procédé : un ralenti qui permet au spectateur de mesurer le moindre sursaut de matière, la moindre vibration. Le bateau glisse mais l’eau est absente de l’image, un marin assis regarde le motif immense peint sur sa voile : Al-Buraq, le cheval du prophète Mahomet, celui qu’il aurait chevauché lorsqu’il est monté vers Allah. Al-Buraq est le lien entre le monde de l’homme et le monde invisible, divin et mythique. Bread fruit on oven relie cette thématique et montre un fruit à pain (originaire d’Océanie, il est beaucoup consommé en Polysésie, en Martinique et en Guadeloupe), posé telle une offrande sur un four traditionnel. Le fruit finit par prendre feu, mais ne faiblit pas, n’éclate pas, ne fond pas, ne se déforme pas : un buisson ardent a fait irruption dans le foyer. Un esprit ?
Et l’on reste encore – mais sans aucune lassitude – dans les végétaux habités de forces occultes avec Fruit polyhedron, banquet immobile dont les convives sont absents. Une nature morte sous la forme d’une fresque silencieuse, débordante d’agrumes et de palmes. Au bout de quelques secondes, un premier fruit, puis un deuxième, pelés et sculptés en polyèdres, commencent à léviter, puis à tourner sur eux même de façon dérisoire, de façon rapide, puis presque interminable. Ils se détachent de l’attraction terrestre, mais l’attraction céleste n’est pas assez forte pour les emporter. Ils restent en suspension, et pirouettent : à quoi cela mène-t-il ? Où cela pourrait-il les mener ? Eux aussi, des esprits ? L’homme est-il maître de ce qu’il transforme ? Ne se nourrit-il pas finalement de l’âme des objets alentours, afin de constituer la sienne, dont les strates ne sont qu’une compilation de signes digérés et récupérés ?

Ah, non ! Ca ne va pas ! Me voilà finalement égaré moi aussi dans la métaphysique, je voulais parler de poésie ! Voilà donc l’œuvre des deux artistes portugais : quoique l’on fasse, on s’y laisse prendre, au-delà des dimension esthétiques et formelles. Chaque bobine est constitué de plusieurs films dont la durée de chacun oscille entre deux et trois minutes en moyenne, assez pour faire surgir des questions après une courte mais intense contemplation. Une fois le propos soulevé dans l’esprit du spectateur, noir ! Au suivant !

« Il faut enseigner par la frustration ! » disait un de mes professeurs d’Histoire de l’Art… Raison de plus pour retourner au F.R.A.C. une nouvelle fois, avant que ces films ne disparaissent de ses salles blanches.




Exposition Alien Theory, de João Maria Gusmão et Pedro Paiva
Du 22 septembre au 20 novembre 2011
F.R.A.C. Ile-de-France / Le Plateau 
Place Hannah Arendt, 75019 Paris (Métro Botzaris) 
Ouvert du mercredi au vendredi de 14h à 19h, les samedis et les dimanches de 12h à 20h

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