L’exposition à Beaubourg du lauréat
du Prix Marcel Duchamp 2010 a de quoi surprendre : là où le visiteur
s’engouffre, aucun éclair, aucune découverte : il a seulement sous les
yeux un travail préparatoire, et des éléments de repérages. Des tâtonnements…
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UR, Underground Resistance and Urban Renewal, 2011
sérigraphies sur verre et marbre fossile noir
241 x 246,5 cm chaque
© Cyprien Gaillard
Courtesy Galerie Bugada & Cargnel, Paris |
Un jeu de références archéologiques et historiques inexploitées
Commençons par des faits :
l’exposition est divisée en deux parties, la première constituant une sorte de
vestibule, au centre duquel sont adossées deux énormes « stèles » de
près de trois mètres de haut. L’œuvre est intitulée UR, Underground Resistance and Urban Renewal, et composée d’une
plaque de verre (récupérée sur le site des Halles en démolition), et une
seconde de marbre, toutes deux sérigraphiées. On ne s’attardera pas sur le
titre de l’œuvre, cumulant de multiples références (« Underground
Resistance » nom d’un label de musique techno de Detroit fondé par Jeff
Mills et Mad Mike au début des années 1990 et dont l’œuvre emprunte le logo ;
« UR » initiales du renouveau urbain ; mais également nom d’une
ville mésopotamienne célèbre pour ses découvertes archéologiques et sa fameuse ziggourat…)
sans vraiment développer plus profondément la problématique de l’exposition :
en quoi les ruines matérielles peuvent-elles être le reflet de nos propres
décombres intérieurs ? Ceci dit, on restera indulgent, il s’agit au moins
d’une bonne œuvre introduisant la notion de ruine : antique ou
contemporaine ?
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Geographical Analogies, 2006-2011
mixed media
65 x 48 x 10 cm (avec cadre)
25 5/8 x 19 x 4 inches (sans cadre)
© Cyprien Gaillard
Courtesy Galerie Bugada & Cargnel, Paris |
On attendait donc au sein de la
seconde salle une mise en abîme des vestiges, qu’ils soient finalement physiques,
mentales, architecturaux ou humains (le dépliant insiste d’ailleurs sur la
volonté de l’artiste de « nous [entraîner] à voir autre chose, à regarder
par-delà les visions convenues »). Dommage, le travail de Cyprien Gaillard
exposé à l’espace 315 est constitué uniquement de ces « visions convenues ». Notamment,
disposées de chaque côté de la pièce, une centaine de vitrines abritent chacune
9 polaroïds disposés en losange et réunissant des éléments architecturaux ou
végétaux de façon formelle, comme par exemple ces colosses olmèques mis en
parallèles avec nos grattes-ciels contemporains, ou quelques grottes calcaires
associés à des charniers gonflés d’ossements… Quoi d’autre ? Trop de séries,
trop de répétition, trop de raccourcis visuels… Au centre de la pièce trône les
Structures Péruviennes, sculptures
« modernes », censées « [réactiver] cependant des formes
incas ». Merci cher dépliant, qui dissémine les références sans plus les
expliciter… On aurait préféré quelque chose d’un peu plus pointu et non
quelques citations ici et là de civilisations qui peuvent paraître floues pour
la majorité du visiteur novice en archéologie.
On n’ajoutera pas non plus la
présence incongrue d’un réel vestige antique (tout droit sorti des collections
du Louvre), en l’occurrence un fragment de bas-relief assyrien, censé se fondre
parmi les faux-vestiges de l’entrée et les ruines recomposées du centre de la
pièce, mais qui ne constitue finalement que le point d’orgue d’une déception
triste, liée à une curiosité enragée et malheureusement victime de famine...
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Anne et Patrick Poirier, Le Jardin Noir, détail, 1975
Photographies de végétaux sur fond
de cendres
Vue de l’exposition à la galerie
Valsecchi, Milan, 1975
© Anne et Patrick Poirier
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Failles et emprunts : comparaison avec le travail d’Anne et Patrick
Poirier
Ne pas avoir pris le risque de
jouer avec la poésie des ruines est peut-être la cause de la superficialité des
œuvres et du propos général. Le travail
d’Anne et Patrick Poirier à la fin des années 1970, centré également autour des
vestiges archéologiques et de son lien à l’humain, avait su mêler le propos
architectural au propos mental. Pour leur Domus
Aurea, exposition organisée au Centre Pompidou en janvier-février 1978,
empruntant son nom à l’antique palais de Néron à Rome, les artistes avaient
créés toute une mythologie urbaine entre utopie et contre-utopie, mêlant
incendie antique et squatteurs contemporains. Les différentes sections
composant l’ensemble (Le Jardin Noir,
La Bibliothèque Noire, et Les Architectures Noires rassemblant
plusieurs œuvres majeures dont Ausée
et La Voie des Ruines) étaient également des métaphores de
l’inconscient et de la perte de la mémoire, qu’elle soit collective ou individuel.
Les zones du palais calciné et les grandes salles d’apparat effondrées devenaient
alors des zones balisées d’un cerveau absent et disloqué.
Cyprien Gaillard s’est d’ailleurs
probablement inspiré du Jardin Noir pour
ses Geographical Analogies, même si
l’œuvre des Poirier jouait plutôt sur des formes végétales enfermés parmi des
cendres noires parfois réelles, parfois photographiées, tels les vestiges des
jardin fragiles d’un palais calciné.
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Anne et Patrick Poirier, Les Constructions Noires, Ausée, détail, 1976
10 x 5 mètres
Charbon de bois, fusain, bois, eau
Courtesy collection Ludwig, Cologne
© Anne et Patrick Poirier
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Bien évidemment, il ne s’agit pas
de dire que Cyprien Gaillard aurait dû suivre la route tracé par ses prédécesseurs.
Mais montrer d’autres démarches autours des mêmes obsessions archéologiques et
urbaines permet de mesurer la facilité dans laquelle s’est engouffré le lauréat
du prix Marcel Duchamp, qui ne joue même pas sur les matières. Les polaroïds
des Geographical Analogies, si on en
croit l’artiste, sont « fragiles, vite fânés, […] fragments archéologiques
en devenir ». Or le visiteur n’entrevoit pas une seule seconde ce devenir
dans les petits clichés neufs et impeccablement disposés. Les Structures péruviennes n’ont rien d’original
non plus, et les enjoliveurs qui trouvent place entre les barreaux de métal, « ultimes
avatars de l’histoire de l’ornement », ne font qu’habiller d’anciens
présentoirs à pneu platement réagencés.
Mesquinerie de l’auteur
Finalement, on aurait dû se douter
dès réception du carton de l’exposition que quelque chose était absent au sein
de ce travail : lorsqu’un artiste contemporain censé présenter une
démarche aboutie à Beaubourg laisse imprimer comme visuel de son exposition la
seule pièce qui n’est pas de lui (le bas-relief assyrien, que nous n'avons pas eu la place de faire figurer parmi nos illustrations, mais qui peut aisément se trouver sur la toile), choix qui de surcroît
n’illustre absolument pas de façon claire sa démarche, c’est soit qu’il n’y
avait rien d’autre à se mettre sous la dent, soit… qu’il n’y avait rien d’autre
à se mettre sous la dent…
Cyprien Gaillard au Centre Georges Pompidou, espace 315 (métro Rambuteau)
Du 21 septembre 2011 au 9 janvier 2012
Ouvert tous les jours de 11h à 21h, sauf le mardi